Tuesday, August 11, 2009

vieilles histoires

Mercredi 11 octobre 2008

Il y a une chose que l’on fait bien en Haiti, et sans doute mieux que les autres : débattre. Sur ce plan-là, personne ne nous arrive à la cheville. Si nous avons une caractéristique, c’est que, chez nous, la parole tient lieu d’action. Et dans notre pays, on apprend très tôt à parler au lieu de faire.

Donc on parlait, hier soir, chez Madame Michèle Pierre-Louis, et on parlait du passé (c’est à la limite de la redondance, chez nous, parler, c’est souvent ne parler que de l’histoire). On parlait de massacres, de Trujillo, de la Dominicanie.

Cela a tourné au pugilat. Qu’était donc allé faire mon ami Michel Hector était dans ce navire ? Et Jean-Marie Théodat, dont les cours à la Faculté sont, me dit-on, avidement suivis par des étudiants qui l’estiment ? Ils se sont aperçus que certains étaient en colère. Au sujet de la Dominicanie et de la façon qu’on y a de traiter nos compatriotes. Traiter est un gentil mot, exploiter, discriminer, mépriser, haïr, violer, assassiner et massacrer seraient plus conformes à la vérité et à l’histoire. Comment peut-on s’imaginer pouvoir discuter de l’histoire lorsque les parallèles avec l’actualité crient que le passé n’est point révolu ? Comment discuter lorsque le débat des historiens n’est pas, ne peut être pacifié.

Comment parler de 1937 alors que, pour à peu près les mêmes raisons, il y a 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007 et il y aura 2008 et 2009 et 2010 ?

La vérité, la grande, la seule vérité, c’est que nos élites politiques et intellectuelles, principalement issues de la petite bourgeoisie, se foutent éperdument du sort des Haïtiens en République Dominicaine parce que ces derniers sont pauvres, illettrés, sans défense –c'est-à-dire, en un mot, invisibles. Il est beaucoup plus intéressant de séduire les élites intellectuelles et politiques de nos voisins, de faire comme le paon avec sa queue, regardez comme je suis beau, écoutez comme je sais bien manier le verbe, écoutez comme je suis intelligent, regardez bien comme je ne travaille pas dans les bataye, moi, et dans les chantiers de Santo Domingo. Regardez comme je ne suis pas nationaliste et comme j’en appelle à la réconciliation. Honte à vous. Je l’écris sans point d’exclamation, sans hurler, terrassé de honte et de tristesse –honte à vous, intellectuels sans conscience noire. Qui ne veut pas hurler sa haine et sa fureur aux Dominicains n’est ni noir, ni haïtien ; ni patriote ni rien. Qui ne hurle pas n’a ni conscience sociale ni conscience noire. Ces gens-là tuent et violent des gens de notre sang avec impunité, sourire aux lèvres, et bénédiction de leur président et de leurs évêques. Et que faites-vous, Haïtiens ? Vous en appelez à la réconciliation ? Est-ce que Dessalines en appelait à la réconciliation ?

Si Nord ne m’avait barré le chemin de la présidence, si j’étais aujourd’hui président, voilà ce que je ferais : je ferais la guerre à la République Dominicaine. Rien de moins. Pas la guerre avec des armes, bien sûr, sur ces choses-là, nous ne valons plus grand-chose depuis que nous avons été émasculé. Je ferais la guerre symbolique, la guerre sociale, la guerre internationale, la guerre intellectuelle, bref, la guerre totale. Je dirais haut et fort, devant une tribune des Nations Unies, à New York, que les Dominicains sont aujourd’hui le peuple le plus raciste de la terre et qu’il ne mérite aucun respect. Je fermerais les frontières (ils en souffriraient, nous moins). J’interdirais les vols entre les deux pays. Je mènerais une campagne internationale, dans la presse, auprès des ONG et du corps diplomatique contre la Dominicanie. Quelque soit le visiteur, journaliste étranger, ambassadeur, dirigeant d’organisation, je ne lui parlerais que de çà. De rien d’autre. Cette situation est inadmissible. Je n’aurais qu’un seul objectif : faire en sorte que lorsqu’on évoque la République Dominicaine en n’importe quel point du monde, la première chose qu’il vienne à l’esprit soit le racisme anti-Haitien.

Je vais vous dire la vérité. Voilà des décennies que je me rends dans ce pays. Je connais bien des dizaines de dominicains. Ces gens-là sont persuadés qu’une Haiti développée, avec un tourisme fort, leur porterait préjudice. Tous. Si beaucoup n’apprécient guère la violence active du petit peuple contre les Haitiens, ils ne font rien contre et ils rêvent tous d’une République sans haitiens.

Et puis il y a leur Président. Cet homme a manipulé sans vergogne la haine déjà ancestrale de ses compatriotes et qui s’est élevé chez nous contre cela ? Qui parmi ces organisations de droits de l’homme si promptes à venir nous renifler pour vérifier que nous ne sommes pas des sauvages a manifesté un outrage à la mesure du mal infligé et de l’irresponsabilité manifesté ? Quel tribunal jugera un jour cet homme sans conscience ?

Il y a leur attitude, qui n’est finalement, pas si extraordinaire que cela. Il s’agit du mal dans toute sa banalité. C’est notre attitude qui est incompréhensible, d’une lâcheté sans nom, imbécile, et derrière laquelle il n’y a finalement que notre haine de nous-même et le vieux mépris de la paysannerie et des pauvres. Finalement, Aristide n’avait pas si tord (menteur, voleur, hypocrite, tout ce qu’on veut, mais il voyait bien que le pauvre nous est invisible).