Wednesday, August 12, 2009

11 août 2009, En plaine.

Monsieur Lyonel Trouillot, dans ce Kreyol traduit qui lui sert de langue, si savamment mâtiné d’exotisme (des pauvres ! du vaudou ! vite !) pour séduire absolument ce public français qui le fuit (nous ne lui suffisons pas ?), nous inflige maintenant une chronique qui, si elle est mal écrite, n’en est pas moins courageuse (on ne peut avoir tous les défauts tout de même). Il lui arrive donc de s’énerver contre les méchants. J’écoute ainsi, un samedi matin je crois, celui qui, si je me souviens bien, assistait dans sa jeunesse à mes cours. Il fustige –uniquement les acteurs politiques. Trouillot, la moitié insulaire de la fratrie en tout cas, se veut plus qu’une plume : une conscience. Et puis finalement, je comprends : il voudra un jour être président. Je le sens, car je nous connais. Il le veut, depuis tout petit, depuis les discussions familiales sur l’Histoire, depuis les ébahissements maternels. Il le sent d’autant plus qu’il connaît et fréquente des ministres et président à lui inférieur. Dans son école de Delmas où notre bonne avait mis sa fille, on sentait le roi sans divertissement. Le sort et les nécessités économiques lui avaient imposés de devoir donner son temps à des parents aussi pauvres qu’ingrats plutôt qu’à la conduite d’un grand vaisseau. En cours, ce n’était pas Confiant, qui, je le sais, ravissait tellement ses lycéens du Canado qu’ils auraient donné leurs peaux pour lui. C’est que Confiant ne s’ennuyait pas, ni ne pensait à autre chose.
Retour en arrière. Je me souviens d’une nuit, une nuit terrible, au Palais national, entre Ti René, Guy Philippe, Dany Toussaint, une autre personne que je ne nommerai pas, et moi-même. Nous étions alors en 1999. Disons au milieu de l’année. Il était passé minuit. L’homme fort d’alors, c’était Toussaint. On avait tiré sur lui, sa voiture, sur la route de Kenscoff. Sa réaction avait été de foncer, fou de rage, au Palais, ses gardes du corps peinant à le suivre, puis d’exiger et d’obtenir une rencontre avec le Président. Il accusait Guy Philippe, qu’on avait alors fait venir dans la nuit, et il menaçait d’en finir avec les Equatoriens. Il était hors de lui, proférait des accusations et des menaces à tour de bras, sans retenu, avec indécence et générosité à la fois, un peu comme Jean-Claude qui distribuait des billets à tous vents en sortant du Palais. Je n’aurais jamais cru entendre autant de cris de toutes parts en présence d’un président légitime et en place. Enfin, ce n’est pas la question. Comme avec ce pacifique Trouillot aujourd’hui, ce qui me frappait alors, au-delà du sujet de conversation, si tant est qu’il y eut une conversation, c’était cet indicible sentiment que tous les participants ne pensaient véritablement qu’à une chose au-delà des affres de la nuit : devenir président, et que cette idée de leur destin venait de loin, qu’ils en étaient si intimement convaincus que c’en était une honte que de devoir se donner les apparences de le cacher. C’est pour cela que Toussaint était prêt à tout casser. L’assassinat était, pour lui, convaincu de son destin, sûr d’être aimé et indispensable, était la seule chose qui pouvait l’empêcher de présider aux destinées du pays. Son assassinat était donc plus qu’un crime, une injustice personnelle. Il faudra un jour se pencher sur ce syndrome qui fait que la moitié des hommes de notre pays, aussi improbables soient-ils, non seulement se rêvent président, mais surtout se croient promis tel.

Néanmoins, je trouve à Monsieur Trouillot des qualités. Il ose monter aux barricades. Je me souviens de ce jour de printemps, au début du deuxième ou troisième, on ne sait plus trop comment les compter, mandat du petit Père. Le Protecteur du Citoyen m’accueillit avec des déclarations d’amitié tout en me guidant à son bureau. Nous nous connaissions depuis la Belgique. Et ma détestation de son patron et bienfaiteur nous avait éloignés. On en sortit (du bureau) et je regarde alors la personne, en uniforme d’écolière, qui attendait dans la pièce adjacente. Mon vieil ami, pensais-je, aime toujours autant les fillettes, au tout du moins les très jeunes filles, mais la mort n’étant pas loin, on saura gré à l’enfer de préparer une marmite en son honneur, si on peut lui accoler ce terme immérité sinon incongru. Je reconnus à cet instant néanmoins l’effet le plus tragique de notre marronnage : le silence et la peur de parler entérinent toutes les petites horreurs du quotidien, laissant les pauvres plus démunis encore, car la très jeune fille n’appartenait pas à la bourgeoisie, loin de là. Qui a jamais dénoncé cet homme ? Même pas moi. Un pays autrefois fondé sur l’honneur et l’instruction permet à un individu payé par l’Etat d’inviter dans son bureau payé par l’Etat à l’heure où il est payé par l’Etat des adolescentes à peine sorties de l’enfance qui devraient être protégées par l’Etat.


En Dominicanie, les lynchages continuent. Pourtant, nos politiciens semblent presque s’en émouvoir. Un tressaillement. C’est la première fois. Il existe chez nous presque une irritation à l’égard des victimes, seraient-elles des nôtres. Je me souviens ainsi d’un soir, il y a environ quatre ans, juste avant la dernière élection présidentielle. J’étais chez la sœur du candidat qui allait gagner. On continuait à m’inviter, malgré mes longs silences. On m’avait même accueilli chaleureusement. (Cela ne s’est guère reproduit depuis.) En tout cas, j’étais là.
Je me sentais cependant en situation d’infériorité : j’avais dû venir à pied et, à mon âge, cette montée abrupte et soudaine juste avant la maison cossue de cette amie d’enfance m’avait fait profusément transpirer. Dans le jardin boisé, le candidat et futur président était assis entre amis. L’un d’eux, dont je croyais alors qu’il allait obtenir des fonctions aussi importantes que lors du premier mandat, passait de l’un à l’autre, d’une conversation à l’autre, d’une mimique à l’autre, dans une versatilité erratique et joyeuse qui trahissait l’incapacité totale à la concentration –élite oblige. On a décidément les hommes d’Etat qu’on mérite. Je m’étais pourtant convaincu que celui-ci, parce qu’il maniait l’espagnol, était marié avec une Guatémaltèque et vécut longtemps dans le pays de celle-ci, pouvait comprendre la situation des nôtres chez nos voisins. Cet idiot se met alors à parler de lui, comment il y avait toujours été bien traité… je m’arrête là. Le narcissisme aveugle. Non seulement ne pouvait-il s’imaginer à la place de nos compatriotes, mais il ne pouvait véritablement saisir ma question. Et dire qu’on reparle de cet homme comme futur premier ministre.


10 août 2009.
Bill Clinton, l’égocrate qui a, un temps, servi de Président à nos voisins, va retourner en Haiti nous a annoncé radio Métropole ce matin. Une mission économique, dit-on, et au ton du journaliste on sent presque comme une espérance. Comme le temps passe. Cet homme était encore il y a peu honni de la moitié du pays, c’est à dire 184, en tout cas de tout ce qui ne vit pas, ou survit, dans un bidonville et peut lire le journal, la bourgeoisie, ou ce qu’il en reste, mais aussi les étudiants, les intellectuels, et d’autres. On l’accusait de tous les maux, de tous nos maux, c'est-à-dire d’avoir fait rétablir Aristide en 1994. Comme s’il l’avait voulu ! Forcé, il nous avait envoyé les Marines et le petit père, mais dans cette histoire, comme dans sa relation avec nous, il a toujours était passif. Il n’a jamais eu de projet pour ici ; il n’en aura pas aujourd’hui qu’il n’a plus aucun pouvoir. Ce narcisse se soucie d’Haiti comme de sa dernière chemise –et leur actuel président aussi d’ailleurs.

Une chose bénéfique était toutefois sortie de tout ce tumulte, l’abolition de notre armée. Dans tout ce 20ème siècle, elle n’a jamais su que refouler les invasions venues du Lycée Pétion ou de La Saline, tant la guerre civile était la spécialité de cette infâme institution. Oui, certes, il s’agissait d’une institution dans un pays qui en compte bien peu et peut-être est-ce là notre malheur –mais on a les institutions qu’on mérite. Plutôt l’anarchie que des institutions comme celle-là. Car, en vérité, on aurait écrit « police » à la place de « ADH » sur les chars blindés et le résultat eut été le même. Quelle nostalgie a donc bien pu piquer cette Commission présidentielle dont on nous dit maintenant qu’elle recommande son retour après « avoir réfléchi à l’insécurité » ! « Réfléchi » ! Avec des penseurs comme cela, qui a besoin d’imbéciles ? Sont-ils nés après 94 pour avoir ainsi blanchi le sang, le mensonge et l’injustice ? Une armée est censée prémunir contre un danger extérieur, que je sache. Quel rapport entre l’insécurité et la protection des frontières ? Un retour à « l’armée » apparaît comme le fétichisme de nos peurs, justifiées certes, mais sans rapport avec la solution, une vraie force de police. Est-ce notre souveraineté qui est en danger ou la sécurité des personnes et des biens ? Pourquoi ne pas rétablir les Macoutes tant qu’on y est ! Peut-être pourraient-ils résoudre l’insécurité !


6 août 2009.
Je reviens de Miami. J’aime Miami. On peut y circuler sans rencontrer de véhicule « United Nations » à chaque coin de rue et y dîner dans des restaurants agréables sans que les serveurs traitent les clients selon un ordre de la blancheur que n’aurait pas renié le 18ème siècle. Miami, en somme, c’est le rêve noir. Haiti, pays fondé par des esclaves révoltés, est en revanche devenu un lieu curieux où le personnel d’une force multinationale inflige les affres du colonialisme –sans l’investissement d’une métropole. Ces gens-là sont chez nous pour vivre comme des colons pas pour nous diriger. Mais cette vie coloniale peut être tout de même bien pesante pour les Haitiens que nous sommes. A l’aller, donc, au moment d’entrer dans Maïs Gâté, je me mets benoitement dans la file de la sécurité, celle située sur le trottoir. Je vois alors un Blanc passer devant tout le monde, suivant son porteur qui l’amène directement à la machine de contrôle, poussant tout le monde, le tout avec un naturel époustouflant. C’était là son dû. Il n’avait même pas de mépris pour les gens dans la file d’attente ; nous n’existions pas. Arrivent deux autres petits colons, fraîchement débarqués d’une voiture à l’insigne d’une ONG connue qui répare des jambes: même scénario. Sauf que je vois la dame sourire, dire des « mercis » crispés en nous passant devant. La culpabilité ?
Le problème n’est pas ce soi-disant manque de respect envers nous-mêmes comme je l’entends souvent. Le problème est que nous n’arrivons plus à nous énerver en temps réel et à dire à un petit con de blanc d’aller se faire foutre. Qu’on ne m’accuse pas de Noirisme. Je n’en ai pas après les étrangers, j’en ai après les étrangers qui refusent de faire la queue même devant un sexagénaire.